The Great Arab Poet Al Mutanabbi by Khalil Gibran

Al-Mutanabbi, la solitude d’un homme (qui n’a jamais douté de lui)

Je suis le meilleur et je vous méprise : on ne pourra jamais accuser Abou Tayeb Ahmad ibn al-Husayn, dit Al-Mutanabbi (915-965, Irak), d’être modeste.

Des poèmes d’Al-Mutanabbi lus par Halima pour Projet Orphée.
Halima est franco-marocaine et vit en Alsace. C’est aussi la maman de mon petit frère. Merci à elle, qui a accepté de bonne grâce, alors que comme à mon habitude, je ne lui ai laissé que quelques minutes de préparation.

 » A ma poésie l’imbécile est allergique, comme le cafard l’est aux roses. » (p.29)

« Des vers sublimes comme les miens nul poète avant l’Islam n’a pu en dire, et la magie de Babylone jamais n’a approché ma mienne ! » (p.55)

« Si un homme me dénigre c’est le meilleur témoignage de ma perfection.  Ainsi j’étais même parmi les miens et même dans ma patrie. L’homme supérieur, où qu’il soit, est, partout, solitaire.  Ils s’épuisent, ces petits poètes, à vouloir se hisser jusqu’à moi. Comme des singes qui veulent imiter l’homme mais à qui manquent la parole. » (p. 107)

L’art de se faire des ennemis

De son vivant déjà, sa notoriété éclipsait celle des autres poètes de la cour, et les puissants se disputaient ses services. Avec un don sans pareil pour froisser ses homologues moins talentueux que lui,  il n’est guère étonnant que sa carrière de poète officiel ait été contrariée par des cabales et autres manœuvres destinées à l’écarter des faveurs des mécènes.

Mais la postérité a donné raison à ses admirateurs, puisque il est à ce jour considéré comme l’un des plus grands poètes arabes de tous les temps (voire le plus grand d’après le préfacier et traducteur Jean-Jacques Schmidt).

Voici ce qu’en dit le Dictionnaire mondial des littératures (P. Mougin et K. Haddad-Wotling, Larousse, 2002) : « Sa poésie est cependant l’une des plus puissantes et des plus originales de toute la poésie arabe, qu’elle incarne aujourd’hui encore, pour le plus grand nombre. La hardiesse des images, les formules passées en sentences, les recherches phonétiques et rythmiques s’allient ici à un sens inné du langage. » 

Ambitieux

Certes, l’ego surdimensionné d’al-Mutanabbi peut agacer. Il n’a rien mais il veut tout : richesse, rang, gloire. Mais surtout, il est en quête de grandeur :  » Il faut tout faire pour atteindre la grandeur quand on en a trouvé le chemin« (p.29). Il n’est pas né noble, et encore moins riche (c’est le fils d’un porteur d’eau), mais il s’acharne à s’instruire. Son ascension se fera via les seigneurs et princes, et par le plus grand d’entre eux (aux yeux d’al-Mutanabbi) : l’Émir  d’Alep (Syrie), Ali Sayf al-Dawla.

Paradoxalement, le poète, qui a passé sa vie à chanter leurs louanges dans les cours des nobles,  n’a aucune tolérance pour l’hypocrisie (« l’amitié des hommes n’étant que tromperie… p. 61) et les intrigues. Il ne supporte ni la médiocrité, ni les imbéciles. Ses plus beaux vers (ses ‘sentences’,  mais ça m’évoque plutôt des proverbes), sont ceux qui  décrivent les travers humains avec acuité et (plus qu’)un soupçon d’amertume.

Vanitas vanitatum, omnia vanitas

Lui qui court après d’insaisissables rêves (« Jusqu’à quand attendrai-je, impuissant, la grandeur ? Quand l’atteindrai-je enfin ? Jusqu’à quand devrai-je y renoncer, réduit à vendre des poèmes à des êtres incapables d’en estimer le prix ?  » p.109) est pourtant très conscient de la vanité de toute chose et du peu de contrôle que l’homme exerce sur sa vie : « Que de fois, quand l’homme ne croit plus avoir à connaitre d’épreuves, voila qu’un malheur imprévu le frappe. » (p. 65) ; le temps (ou le destin) venant à bout de toute ambition : « Où est celui qui a construit les pyramides ? Et son peuple, où est-il ? Quand est-il mort ? Et comment ? Les œuvres survivent, un temps, à leur créateurs, puis le néant les engloutit à leur tour. » (p. 91)

Plus de 1000 ans ont passé depuis ces vers. Les pyramides n’ont été pas oubliées. al-Mutanabbi non plus.

La solitude d’un homme / al-Mutanabbi. Choix, traduction de l’arabe et présentation par Jean-Jacques Schmidt. La Différence (Orphée), 1994.

Illustration de l’article : Al-Mutanabbi par Khalil Gibran. Source Wikipedia