Je lis les posologies. Par curiosité, et, sachant que je m’apprête à ingérer le médicament dont je lis la terrifiante liste des effets indésirables, par masochisme aussi. Elles sont pleines de mots aux sonorités exotiques ; je ne peux qu’en apprécier la lecture.

Si on y pense, la posologie est une forme d’écriture à contrainte, au même titre que l’oulipo ou le surréalisme. Voici son manifeste : donner des instructions sur la prise du médicament, informer sur le médicament, dans un format réduit et en utilisant une terminologie incomprise du commun des mortels. Etre tout cela à la fois, mais sans jamais réussir à être ni complètement informative, ni complètement instructive.
C’est donc en lisant avec attention (autant qu’on peut l’être avec de la fièvre, les yeux vitreux, la toux qui vous fait perdre la ligne du paragraphe et qui vous oblige à reprendre la lecture pour la nieme fois) la posologie de l’antitussif Humex que je tombe sur cette phrase :
« Il convient de de privilégier les prises vespérales en raison de l’effet sédatif, surtout en début de traitement, de l’oxomémazine. »
Vespérales.
Je relis encore, histoire de m’assurer que la fièvre ne me joue pas des tours. Non, c’est bien « vespérales », et non « le soir » ou « en soirée ». Ce mot du registre poétique est tellement inattendu dans une posologie que mon imagination s’emballe (en même temps que ma fièvre)
Qui a écrit cette notice ? Un-e scientifique à l’âme de poète ? Un-e étudiante-e en lettres qui a subrepticement glissé un mot littéraire dans la terminologie scientifique pour se distraire de l’ennui de son job alimentaire ?
Je finis rapidement la lecture de la notice, hélas, pas d’autre fulgurance poétique. Mais il y a l’adresse du fabricant, et dans ma tête, je commence à rédiger la lettre où je m’enquiert avec enthousiasme de la procédure de rédaction des notices.
Cependant, avant de poster cette lettre imaginaire (sur laquelle j’ai déjà collé un timbre, imaginaire lui aussi), je me dis que je pourrais poser la question à mon médecin à ma prochaine consultation. Ce que je fais le lendemain, ma vie étant menacée (je tousse tellement que mes colocataires excédés menacent de m’étouffer dans mon sommeil).
« Prise vespérale » est une expression commune dans la terminologie médicale. Pas de machination d’une société secrète littéraire déterminée à introduire des vocables poétiques, pas d’étudiant-e qui s’amuse à remplacer « le soir » par « vespéral » pour tromper l’ennui, pas de scientifique qui publie en douce son recueil de poésie mot par mot, disséminé dans les posologies qu’il rédige année après année.
Je suis déçue (mais je vais mieux).
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