Priscilla, c’est ma soeur. Jumelle. Colocataire. Collègue. Depuis quelques semaines, nous ne sommes plus « que » jumelles, puisque j’ai changé de travail, d’appartement, et de pays.
Pour garder sa voix le temps de se retrouver, j’ai évidemment voulu l’enregistrer lisant des poèmes.
Ceux qu’elle lit évoquent des endroits où elle a voyagé, parfois plus d’une fois. Il y en a sept :

Roger Bodart, Québec
Anna de Noailles, Soir d’Espagne
Jean Orizet, Les orangers de Jaffa
Marc Pietry, Bruges la morte
Jules Romains, New-York
James Sacré, Fin d’après-midi à Marrakech
Emile Verhaeren, Londres
Ils font tous font partie du recueil Cent poèmes pour ailleurs, une édition publiée en 1991 pour célébrer le 100ème volume paru dans la collection Orphée, et offerte en librairie à cette occasion. Je l’ai trouvée par hasard chez un bouquiniste, 9 ans plus tard. J’avais 19 ans, je découvrais Stéphane Mallarmé (Brise marine) et Andrée Chedid (La vie voyage).
#1 Roger Bodart, Québec (0’25)
A votre avis, il a mis combien sur Trip Advisor ?
Québec n’est pas inscrit sur la Carte du Tendre / Dans la belle Province il gèle à pierre fendre / Les troncs ont explosé dans les griffes du froid / Il ne fait jamais chaud où l’Anglais fait la loi
Roger Bodart

#2 Anna de Noailles, Soir d’Espagne (1’11)
Le « de » dans Anna de Noailles n’est pas là pour faire joli. Elle est doublement aristocrate, de naissance puis par mariage : c’est une Bibesco Bassaraba de Brancovan de Roumanie qui a épousé le comte de Noailles. Forcément, la grande vie, ça laisse des traces. On ne peut donc pas trop en vouloir à Anna de Noailles quand elle tombe dans le cliché du pauvre qui a tout compris à la vie et aux vraies valeurs. Jugez-en vous même :
O misère animale, active, triomphante, / O saveur de la pauvreté, / Sous le ciel des guerriers, des trônes, des infantes, / Dans le brasier bleu de l’été ! / Qu’importe à ces humains dont le cœur est farouche / La chétive privation ? / Ils ont leurs corps dansants, leurs bras ambrés, leur bouche / Ils ont la sainte passion !
Anna de Noailles


#3 Jean Orizet, Les orangers de Jaffa (2’50)

Pourquoi intituler un poème ‘Les orangers de Jaffa’ quand on parle de Jérusalem ? Est-ce la fameuse licence poétique qui a dispensé Jean Orizet d’exactitude géographique ? Le titre et le poème laissent penser que tout est au même endroit, or Jérusalem est perchée sur des collines à l’est du pays, tandis que Jaffa, un port vieux de plus de 4000 ans, est à l’ouest, juste à coté de Tel-Aviv.
Dieu semble rester Dieu pour quelque temps encore
Jean Orizet
Et parlons-en, des oranges. Ça fait bien longtemps qu’il n’y plus de culture d’orangers à Jaffa. Les fameuses oranges de Jaffa sont cultivées dans de grandes exploitations agricoles ailleurs dans le pays, quand ce n’est pas l’appellation qui est vendue pour des oranges d’autres pays.

#4 Marc Pietry, Bruges la morte (3’20)
Le titre du poème fait référence à un roman éponyme, oeuvre majeure du symbolisme fin de siècle (19e) du belge Georges Rodenbach.
#5 Jules Romains, New-York (4’00)
« Là-bas, la faim de grandir est enfin rassasiée »
Jules Romain

#6 James Sacré, Une fin d’après-midi à Marrakech (4’58)
Tu m’avais raconté ton enfance, des jardins : les oranges silencieuses.
James Sacré

#7 Emile Verhaeren, Londres (5’46)
O mon âme du soir, ce Londres noir qui traîne en toi…
Émile Verhaeren
Dans la littérature, il y a le Londres des héroïnes austeniennes, et le Londres des personnages de Dickens. C’est clairement le second qu’a visité Verhaeren.
