Edith Södergran : « Il ne me sied pas de me faire plus petite que je ne suis. »

A 17 ans, Edith Södergran (1892-1923) a su qu’elle mourrait jeune. Elle a la tuberculose, comme son père décédé deux ans plus tôt. Le reste de sa vie sera entrecoupée de périodes de soins, convalescences et rémissions. Mais elle lit, écrit, publie, rencontre d’autres poètes. Bien que la mort et la douleur traversent son œuvre, Edith Södergran a marqué la littérature scandinave avec sa poésie explorant spiritualité, nature et identité.

Une femme est une âme, une âme est une personne, donc une femme est une personne

Un poème d’Édith Sodergran lu par Anne K. pour Projet Orphée

« Mon assurance vient de ce que j’ai découvert mes dimensions. Il ne me sied pas de me faire plus petite que je ne suis. » Remarque préliminaire au recueil Septemberlyran (La lyre de septembre), 1918.

Södergran n’accepte pas la dépossession de soi. Elle y est déjà contrainte dans son corps contrôlé par la maladie « Moi, prisonnière de moi » (p. 115,) elle est donc vigilante quand il s’agit de défendre sa légitimité poétique et son individualité. Les dimensions dont elle parle sont autant d’identités qui la définissent et elle refuse d’être réduite à la seule qui se voit : la femme.

Dans le poème Vierge moderne (p. 43), elle déclare d’emblée :

Je ne suis pas une femme. Je suis neutre. Je suis un enfant, un page, une résolution hardie, je suis un rai de soleil écarlate qui ri… Je suis un filet pour poissons gloutons, je suis un toast porté en l’honneur de toutes les femmes, je suis un pas vers le hasard et la ruine, je suis un bond dans le liberté et le soi… Je suis le sang qui chuchote à l’oreille de l’homme, je suis fièvre de l’âme, désir et refus de la chair, je suis l’enseigne à la porte de paradis inédits. Je suis une flamme exploratrice et gaillarde, je suis une eau profonde mais téméraire jusqu’aux genoux, je suis et feu loyalement, librement unis.

Elle ne rejette pas son genre, elle s’y identifie sans arrêt : « Nous, les femmes » (p. 73), « mes sœurs« , (p.39) etc, mais elle se voit comme une personne avant tout. Elle n’emploie pas ce terme précis, elle lui préfère le métaphysique mot âme. « Mon âme aime tant les pays étrangers » (p.81), « Mon âme ne sait pas dire de vérité et n’en connais aucune » (p.91) etc.

Elle a conscience de sa valeur et n’a jamais compris pourquoi être une femme ne faisait pas d’elle l’égale de ses pairs.

Donc, pour paraphraser Södergran, une femme est une personne. Ça parait être une évidence, pourtant l’écrivain George R.R. Martin (G.R.R.M.) a dû la rappeler, non sans humour, dans une émission de télévision en 2012. L’animateur George Strombopolous lui demandait comment il s’y prenait pour que ses personnages féminins soient si bien écrits et G.R.R.M., taquin, répond après un bref silence qu’en fait, il a « toujours considéré les femmes comme des personnes.« 

Situation amoureuse : compliquée

On ne connait à Södergran qu’une brève aventure qui s’est (mal) terminée un an avant la publication de son premier recueil. Plusieurs de ses poèmes y évoquent par conséquence la déception et la peur de se perdre dans une relation amoureuse.

Elle se méfie pas de son désir « Saisis le désir de mes minces épaules« , mais plutôt de l’homme qui en est l’objet. « Déjà je sens sa lourde main sur mon bras léger… Où est l’éclat de mon rire de vierge, ma liberté de femme qui va tête haute ?[…] Déjà j’entends le choc brutal du réel, sur mes rêves fragiles, fragiles ( La journée fraîchit, p. 25-27) « Je savais seulement que tes caresses me retenaient prisonnière » (Amour, p.93)

Tu cherchais une fleur Du sökte en blomma
Et  tu trouves un fruit.
och fann en frukt.
Tu cherchais une source
Du sökte en källa
Et tu trouves la mer.
och fann ett hav.
Tu cherchais une femme
Du sökte en kvinna
Et tu trouves une âme – och fann en själ –
Tu es déçu.
du är besviken.

Edith Sodergran, Le pays qui n’est pas et Poèmes, Editions de la Différence, 1992, p. 27. Traduction de Lucie Albertini et Carl Gustaf Bjurström.

Anne K. de Ingelshof, France, à Malmö, Suède

Anne K. est une française qui vit en à Malmö en Suède, c’est elle qui me lit le poème « Je » (p.35) avec son suédois tout neuf. La petite voix qui s’invite vers la fin est celui de sa fille, l’espiègle Sara dite »Zaza », qui avait 4 ans au moment de l’enregistrement.

Si Anne a émigré en Scandinavie, c’est par amour pour un grand blond suédois aux yeux bleus (Jonas, désolée pour cette description aussi générique). Elle a dû apprendre le suédois et retourner aux études pour pouvoir exercer son métier de sage-femme là-bas.

Nous sommes amies d’enfance, nos familles étaient voisines dans le petit hameau d’Ingelshof, trente habitants. Sa sœur Corinne et elle avaient une bibliothèque que mes sœurs et moi avons fréquentée bien avant de découvrir l’existence des bibliothèques municipales. C’est Anne qui nous a fait découvrir Calvin et Hobbes, la bande dessinée de Jim Waterson. Pour ça et pour avoir été tout à la fois grande sœur, amie, voisine : merci !

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Le Pays qui n’est pas. Edith Södergran. Traduction de Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini. Orphée,  La Différence, 1992

Sources

Portrait d »Edith Sodergran (1994) par la peintre suédoise Tonie Roos http://tonieroos.blogspot.com/ https://paris.si.se/en/tonie-roos-2/

You know, I’ve always … considered women to be people » (à partir de la 18’40 min. dans l’interview) https://www.indy100.com/people/george-rr-martin-writing-female-women-characters-game-of-thrones-author-7639311

https://www.lacauselitteraire.fr/poemes-edith-soedergran-par-andre-sagne

https://nordicwomensliterature.net/2011/12/29/i-am-a-law-unto-myself/

Dictionnaire mondial des littératures. P. Mougin et K. Haddad-Wotling, Larousse, 2002

Wikipedia anglais, suédois, français, tous complémentaires, sur Edith Sodergran :

https://en.wikipedia.org/wiki/Edith_S%C3%B6dergran

https://sv.wikipedia.org/wiki/Edith_S%C3%B6dergran

https://fr.wikipedia.org/wiki/Edith_S%C3%B6dergran